L'histoire du Nippon Kempo

Du Karaté de combat au Nippon Kempo*.

Il convient de faire la distinction entre le "Nihon Kenpô karaté do" fondé par T.Yamada et le "Nihon Kenpô" fondé par Sôkaï Sawayama (1906-1977). Le Nippon Kempo utilise des protections complètes pour le combat qui comporte des techniques de percussion, de projection et d'immobilisation…

Ce n'est pas par hasard si les itinéraires de leurs deux fondateurs se sont croisés à un moment de leur jeunesse. Dans l'histoire des arts martiaux, nous remarquons souvent deux types d'adeptes: ceux qui ont été robustes et forts depuis leur naissance et ceux qui ont été faibles pendant leur enfance. S.Sawayama était de ceux-là. En entrant au collège en 1919, pour améliorer sa santé, puis pour se renforcer, il décide de s'adonner aux exercices physiques. Il achète quelques livres sur la musculation et s'y exerce seul, notons qu'à cette époque, la connaissance de la musculation est peu répandue au Japon. Il s'initie en même temps au jûdô. Grâce à son effort soutenu, il fait des progrès remarquables. En 1925, il entre à l'université Kansaï où il continue le jûdô et obtient le 5 ème dan. Passionné par une autre activité, la bagarre de rue, il fréquente les quartiers malfamés d'Osaka. Il cherche non seulement à trouver, mais à créer des occasions de se battre…Aimer la bagarre (du moins dans la jeunesse), c'est un point commun avec T.Yamada et C.Motobu. En continuant à préserver en jûdô et en bagarre, il se pose une question "pourquoi est-ce qu'en jûdô on n'utilise pas les coups de poing et de pied qui sont les plus efficaces et indispensables à la bagarre. Il s'interroge à partir de son expérience sur le sens de l'art martial.

Retour au jû-jutsu

En guise de réponse à sa question, son maître de jûdô lui donne un thème de recherche: étudier les techniques de percussion dans le jûjutsu classique, puisque celles-ci ont été éliminées au cours de la formation du jûdô. Ainsi S.Sawayama commence à étudier des techniques d'atemi en jûjutsu. Or, la plupart des techniques de percussions du jûjutsu sont conçues avec le port du sabre et, bien qu'on s'y exerce à main nue, la technique du jûtutsu est attachée à l'utilisation du sabre. Par exemple, une des techniques des samouraï était de donner un coup avec l'extrémité de la poignée du sabre qu'ils portaient sur le côté gauche de la hanche. On y donne un coup en saisissant l'extrémité du fourreau en appuyant le pouce sur la garde du sabre. En jûjutsu classique, on s'exerçait à cette technique sous forme d'un coup porté du poing gauche .Ainsi, les techniques de percussions en jûjutsu sont secondaires et limitées. Telles est, du moins, la conclusion de S.Sawayama.C'est à ce moment qu'il entend parler d'un maître de karaté qui vient de s'installer à Osaka, Kenwa Mabuni. Il commence à étudier le karaté sa direction.

Rencontre avec Yamada

A l'insu de son maître, S.Sawayama continue à se battre dans la rue. Dans un des quartiers malfamés, il fait la rencontre de T.Yamada qui rôde aussi, probablement pour le même but. Celui-ci lui dit qu'il est l'élève de C.Motobu dont S.Sawayama connaissait le nom par son combat contre un boxeur.

Plus tard, il interroge K.Mabuni sur le karaté de C.Motobu, celui-ci répond,"C'est vrai que Motobu est fort, mais ce n'est pas le vrai karaté, il a construit sa force par des bagarres. Un véritable karatéka doit intégrer la morale dans sa force. On s'y exerce au travers des katas.Le karaté de Motobu a dévié de la juste voie."Mais la phrase "il a construit sa force par des bagarres" l'attire. Il rencontre C.Motobu par l'intermédiaire de T.Yamada et sa force en combat et ses idées techniques le marquent fortement.A la même époque, il fait connaissance de Y.Konishi qui fréquentait C.Motobu et K.Mabuni. A l'université Kansaï, S.Sawayama forme un club de karaté. Au lieu de continuer fidèlement l'enseignement de K.Mabuni, il cherche à élaborer un karaté plus réaliste. En effet, l'enseignement de K.Mabuni se base, tout comme celui de G.Funakoshi, sur l'exercice des katas. A la différence G.Funakoshi, K.Mabuni n'est pas hermétique à l'égard du combat, il cherche à élaborer des exercices de combat.

Masaru Sawayama

Recherche pour un karaté efficace

Pour s'exercer au combat avec sécurité, il essaye même des protections qu'il rejette par la suite. Sur la recherche du combat, la démarche de S.Sawayama est plus rapide et plus radicale que celle de son maître.A l'université, il élabore une méthode d'entraînement. il met au point des exercices de combat conventionnel et aussi libre. S'appuyant sur l'expérience du combat libre, il continue à élaborer de nouveaux exercices. A la même époque, à Tokyo, les élèves de G.Funakoshi, tels que H.otsuka, T.Shimoda et Y.Konishi cherchent, avec prudence, des modèles d'exercices de combat conventionnel à partir des katas. Il faut dire que S.Sawayama a quelques pas d'avance. Car à l'époque où les karatéka de Tokyo, élèves de G.Funakoshi, commencent à peine à pratiquer le combat conventionnel, S.Sawayama s'exerce déjà au combat libre avec le système de sundomé, arrêt du coup avant de toucher, que les autres adopteront plusieurs années après.

Nous pouvons dire qu'il est le précurseur du système dominant actuel. Cependant, après avoir pratiqué ce système de combat, il l'abandonne rapidement, car le système de contrôle par un arrêt du coup n'est pas suffisant pour lui, K.Mabuni n'est pas d'accord avec la démarche de S.Sawayama. En 1932 celui-ci se sépare de son maître pour former sa propre école et l'appelle "Dai-nippon-kenpô", l'origine de Nihon Kenpô.

La même année, il entre dans l'armée comme officier volontaire. Il continue à élaborer et systématiser sa méthode. Nous avons rencontré le même schéma précédemment: lorsque des élèves ont commencé le combat, G.Funakoshi a rompu avec eux. C'est toujours à travers la conception du combat que commence le problème du karaté, art de combat. Au début, S.Sawayama pratique le combat sans protection avec le système de sundomé, mais en s'y exerçant sérieusement, les accidents sont inévitables. Quand l'accident arrive, il est souvent grave.de plus, il constate qu'avec cette forme de combat, les techniques de défense risquent d'être insuffisantes, puisqu'on est censé ne pas toucher.

Le combat, principal problème du karaté.

Il lui paraît nécessaire d'élaborer des protections. Il prend modèle sur le kendô pour les protections et aussi pour l'exercice du combat. Selon S.Sawayama, comparativement au sabre, la méthode du karaté est en retard et elle correspond à celle du sabre du moyen âge où l'on s'exerçait principalement au kata, et, parallèlement pour se préparer au combat, on s'entraînait avec un vrai sabre ou avec un sabre en bois en contrôlant des coups. Avec l'utilisation des armures de protection à partir de la fin 18e siècle, la technique du sabre Japonais a fait d'énormes progrès en accumulant les expériences de combat libre. En karaté, dans l'île principale du Japon, aucun maître, excepté C.Motobu, n'est capable d'enseigner le combat. Le karaté que rencontre S.Sawayama n'ayant ni expérience, ni méthode, ni système de combat, celui-ci juge donc que la méthode du karaté est bien en retard.

A partir de 1934, il commence à diriger des exercices de combat avec protection. Dans le combat de son école, il inclut des techniques de coup, des projections et des luxations. Comptes tenu de sa formation en jûdô, cette approche est normale.

En 1936 S.Sawayama effectue une démonstration publique. En 1937, il organise la première rencontre universitaire entre les universités Kansaï et Kansaï-gakuin. C'est une réussite qui rencontre l'appréciation du public et un bon démarrage. La guerre Sino-japonaise éclate. L'atmosphère militariste se renforce de jour en jour. Cependant, S.Sawayama continue à élaborer la méthode d'entraînement et le système d'application de sa discipline jusqu'en 1940 où il est mobilisé en Chine comme officier d'infanterie.

L'influence de maître Sawai.

Durant son séjour en Chine, il s'intéresse aux arts martiaux Chinois, et il a fait la connaissance avec K.Sawaï qui étudie alors le Yi quan sous la direction de Wang Xiangzhai.

Aujourd'hui il y a deux tendances en Nippon Kenpô: celles de l'est et de l'ouest. La technique du groupe de l'ouest reflète plus celle de S.Sawayama avec des mouvements souples et circulaires absents dans celle de l’Est. Il semblerait qu'il ait appris ces éléments à l'occasion de la rencontre avec K.Sawaï et les ait introduits dans son enseignements.

En 1946, il retourne au Japon et travaille aussitôt à rétablir son école. Le Japon est au fond de la misère. La préoccupation majeure de la population est "comment manger chaque jour" et ces conditions peu de gens s'intéresse à l'art du combat. Lorsqu’il organise quelques démonstrations, on le critique en disant « C’est de la bagarre de mendiants », S. Sawayama vit dans des conditions matérielles lamentables. Il faut attendre l'année 1953, pour qu'il organise une démonstration de Nihon-Kenpô au centre de Tokyo, avec ses 70 élèves, ce qui cause une sensation dans le milieu des arts martiaux.
Plusieurs universités adhèrent aussitôt. En 1954, le Nippon Kempo est adopté comme discipline officielle par l'université Kansaï d'où est sorti S.Sawayama et il est nommé professeur.

Aujourd'hui le Nippon Kempo constitue un courant important au Japon avec les dôjô des écoles, des universités et aussi des dôjô privés.

Kenji Tokitsu, Histoire du Budo

*L'auteur écrit Nihon Kenpo au lieu de Nippon Kempo dans l'artcile original. Nous avons décidé de garder l'orthographe "Nippon Kempo" afin que les lecteurs ne soient pas trop perdu entre les différences d'orthographes.